> Ateliers avec des personnes atteintes de cancer - Centre-Resource Saint-Avold - Entr'aide Cancer Behren-les-Forbach (France Moselle) 2019
Trois années plus tard je reviens sur les ateliers réalisés avec des personnes atteintes de cancer. Ce n’est pas dans mes habitudes de laisser traîner les choses ainsi. Il m’aura en réalité fallu tout ce temps pour oser de nouveau porter un regard sur ces ateliers particulièrement touchants. Non pas que les autres menés ailleurs et avec d’autres personnes ne l’ont pas été ; tous l’ont été à leur manière. Mais ceux-là prirent une tournure particulière en raison d’importants soucis de santé que j’ai moi-même rencontrés durant cette période.
Des ateliers de création artistique à visée thérapeutique ont été menés dans deux associations du Nord-est de la Moselle accompagnant des personnes atteintes de cancer : le Centre Ressource de Saint-Avold et l’association Entr’Aide Cancer à Behren-les-Forbach.
Au Centre-Ressource de Saint-Avold, les ateliers étaient destinés non seulement aux personnes malades mais aussi aux aidants, afin que chacun puisse trouver sa place dans l’épreuve de la maladie.
Ma démarche spécifique d’accompagnement, consistant à inviter à créer avec et à partir de ce que l’on est et de ce que l’on a, trouvait auprès de ces personnes tout son sens : il s’agissait de faire avec la maladie. Cela signifiait alors, sortir un instant de l’idée de combat contre la maladie pour rendre possible de nouvelles ouvertures, et voir la maladie comme un tremplin pour trouver, par le biais de la création, comment tirer une force de vie de cette épreuve.
Les ateliers mêlaient la réalisation d’une production dans le champ des arts-plastiques à des exercices de danse et de musique. Ils portaient à chaque fois sur une thématique définie, proposant tantôt de s’ouvrir à l’inconnu, qui se présente indéniablement en raison de la maladie, tantôt de renouer avec la Nature, la personne malade étant avant tout un être vivant issu de la nature et ne pouvant être réduit à son statut de patient d’hôpital. La création, au cœur de ces ateliers, invitait aussi les personnes souffrantes à rééquilibrer le fonctionnement de leurs sens perturbés par la maladie, ou encore à retrouver la mobilité de leur corps, elle aussi affectée.
Se réapproprier son corps, se mouvoir pour s’exprimer, tracer librement sur une feuille, se nourrir de la puissance des couleurs et de la matière, sentir le son vibrer dans sa poitrine, et s’offrir un sas de respiration en trouvant un espace où exprimer artistiquement ce qu’il n’est plus possible d’exprimer autrement, déposer quelque part les soucis d’une situation trop lourde à porter.
Les ateliers de création artistique à visée thérapeutique, conduits dans les deux associations, n’avaient pas pour enjeu de guérir les personnes du cancer. Ils ne les invitaient pas à se soustraire de tout traitement médical prescrit par la médecine allopathique, qui reste souvent bien nécessaire dans de nombreuses formes cancéreuses et à des stades avancés de la maladie. Ils constituaient un accompagnement complémentaire et alternatif, et s’inscrivaient par ailleurs dans le programme des activités aux côtés d’autres formes de soin tels que ateliers de diététique, séances de soins esthétiques, sophrologie et yoga.
Arrêtés prématurément en raison d’un état de santé qui ne me permettait plus de les assurer, les ateliers n’ont jamais pu être menés à terme ou reconduits, faute de financement suffisant. Aujourd’hui, les personnes que j’y ai rencontrées ne sont pour autant pas moins présentes dans mes pensées: celles qui sont toujours là, fortes de leur cheminement vers la guérison, et bien plus encore celles que la maladie a injustement emportées.
Un tout autre format d’ateliers était proposé dans l’association Entr’Aide Cancer de Behren-les-Forbach. S’adressant à la troupe de théâtre qui s’est créée au sein de l’association, les ateliers mêlaient arts-plastiques et théâtre, un théâtre où l’improvisation venait compléter le travail que les acteurs menaient par ailleurs dans un registre plus académique.
Intitulé De la création d’un personnage à sa mise en scène, le cycle d’ateliers invitait à se prêter au jeu dans des exercices de libre expression, utilisant notamment la méthode du Théâtre de l’opprimé créée par le dramaturge Auguste Boal. Cette approche du théâtre occupe une place prépondérante à la communication non-verbale : ce que les mots ne disent pas peut être exprimé autrement par le corps.
En associant par ailleurs le théâtre aux arts-plastiques, il s’agissait là encore de donner à la pratique théâtrale de la troupe une autre couleur : ainsi les mots dits et non-dits peuvent se mêler aux images pour une plus grande expression des émotions.
Et quand les mots ne sont plus assez puissants pour exprimer une souffrance vécue, l’art, en tant que mode de communication non-verbal, peut avoir un effet thérapeutique bénéfique. Par l’art, nous pouvons exprimer nos peurs, notre colère et notre tristesse mais aussi notre joie, car l’art, par son aspect esthético-sensible, nous enseigne que même lorsque la maladie nous entraîne au seuil de la mort, une ouverture peut se créer et nous rappeler ce que sont la beauté et les véritables valeurs de la vie.
Ainsi, au moyen de deux formes artistiques, le théâtre non-verbal et les arts-plastiques, un vaste espace était offert aux participants pour déposer voire transformer la souffrance liée à la maladie. Dans cet espace se sont tramées de nombreuses histoires autour des personnages créés et mis en scène par chacun ; certaines étaient comiques, d’autres plus tragiques, toutes en tout cas dressaient le tableau du vécu de la maladie.