Ma conception de l’art et de la culture
« Toute personne en qui l’artiste vit, devient, quelque soit le genre de son travail, un individu curieux, inventif et audacieux, d’expression original. Il devient intéressant pour les autres. Il perturbe, bouleverse, éclaire et ouvre des voix nouvelles vers une compréhension plus juste. Là où ceux qui ne sont pas des artistes essaient de fermer le livre, il l’ouvre et montre qu’il est encore possible d’écrire de nouvelles pages. » Robert Henri (peintre américain)
« Être cultivé aujourd’hui, ce n’est pas lire Tacite ou Homère dans le texte (cela c’est de l’érudition), ce n’est pas non plus connaître par cœur les composantes chimiques du sol de Mars ou de Saturne, c’est tout simplement admettre – jusqu’en sa propre création – la culture des autres ; c’est même au besoin se mêler à elle et la mêler en soi. Être cultivé aujourd’hui, c’est porter en soi, à sa mort, des mondes plus nombreux que ceux de sa naissance. Être cultivé aujourd’hui, c’est être tissé, métissé par la culture des autres. » Jacques Lacarrière (écrivain français)
La notion de culture : une diversité de significations
La culture, une culture, des cultures, cultiver, se cultiver, s’acculturer. Ces quelques exemples de termes suffisent à rendre compte de la diversité des significations de l’unique notion de culture ; et ce n’est pas sans rappeler les multiples autres significations existantes lorsque cette notion est suivie ou précédée d’un adjectif ou d’un nom. L’ouvrage d’Alfred L. Kroeber et Clyde Kluckhohn, Culture, a critical review of concepts and definitions, publié en 1952, offre un ensemble de 163 définitions de la notion de culture. Depuis, des centaines d’autres définitions ont été formulées, notamment pour compléter les premières avec de nouvelles acceptations de la notion de culture.
Dans la tradition française, le terme culture a longtemps été associé à celui d’esprit pour désigner le développement de l’esprit. Ainsi, par la culture, l’être humain se cultive, devient cultivé et acquiert une culture.
La culture comme développement de l'esprit
La tradition allemande a introduit le concept français de culture pour traduire non pas ce qu’il désignait alors – le développement individuel de l’esprit – mais le progrès d’une collectivité : la culture est un moyen de se développer individuellement et collectivement à la fois ; la culture est au service du progrès d’une collectivité et la notion se confond alors avec celle de civilisation.
Le principal usage du mot culture dans la tradition anglo-saxonne, est celui fait par l’anthropologue Edward B. Tylor avec la définition qu’il donne du terme dans son ouvrage Primitive Culture, publié en 1871. Sans rejeter la conception de la culture comme développement de l’esprit, et tout en y intégrant l’idée de progrès d’une collectivité, il fait de « culture » et « civilisation » un seul et même terme qui « pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres aptitudes, et habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. » Cette conception de la culture permet d’envisager l’homme au sens anthropologique, c’est-à-dire à partir de ses productions et de ses représentations. Par ailleurs, la notion de relativisme culturel que la définition de la culture donnée par Tylor introduit, promeut l’idée qu’il n’existe pas une unique culture mais des cultures.
La culture, des cultures
Cette conception de l’existence de la culture englobant une diversité de cultures prévaut dans le contexte multiculturel et transnational d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas tant aujourd’hui de considérer la culture comme étant uniquement liée à l’enrichissement de l’esprit ou uniquement comme progrès d’une collectivité, ni d’ailleurs essentiellement du point de vue anthropologique, mais plutôt de trouver un consensus englobant toutes ces acceptations. La culture se caractérise en effet désormais par une hétérogénéité qui invite à parler de culture non plus au singulier mais au pluriel.
Cet élargissement de la notion apparaît favorable à l’émergence de certaines cultures qui s’affirment désormais comme telles, tout en permettant à d’autres cultures déjà existantes, ou plutôt déjà reconnues comme telles, de se maintenir. Sans tomber dans un relativisme culturel absolu qui pourrait conduire à des dérives en considérant que tout peut désormais se nommer culture, la culture se veut intégratrice de cultures diverses et variées qui se côtoient et interagissent les unes avec les autres.
Selon la définition de la culture donnée par le Dictionnaire de l’Académie française (2011), la culture, sur le plan social, désigne aujourd’hui :« [l’]ensemble des acquis littéraires, artistiques, artisanaux, techniques, scientifiques, des mœurs, des lois, des institutions, des coutumes, des traditions, des modes de pensée et de vie, des comportements et usages de toute nature, des rites, des mythes et des croyances […] » relatif à un groupe donné.
Paris, 19e arr. Peinture murale appartenant au courant du street art (art urbain) et plus largement à la « urban culture » (culture urbaine)
Une médiation artistique encourageant la diversité des expressions culturelles
La médiation artistique et culturelle telle que je la conçois (cf. Rubrique « Ce qu’est la médiation artistique et culturelle ») valide cette définition élargie du concept de culture en encourageant la diversité des expressions culturelles. Il est intéressant de mentionner à ce propos la définition donnée du patrimoine culturel dans la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles (Unesco, Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico, 1982) :
« Le patrimoine culturel d’un peuple s’étend aux œuvres de ses artistes, de ses architectes, de ses musiciens, de ses écrivains, aussi bien qu’aux créations anonymes, surgies de l’âme populaire, et à l’ensemble des valeurs qui donnent un sens à la vie. Il comprend les œuvres matérielles et non matérielles qui expriment la créativité de ce peuple : langues, rites, croyances, lieux et monuments historiques, littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques. »
Culture artistique : une notion associant l’art et la culture
Plus spécifiquement, la médiation artistique et culturelle opère dans le champ de ce que l’on pourrait appeler la culture artistique. Par culture artistique, nous entendons toutes les connaissances, les savoir-faire, les expériences et les phénomènes relevant de l’art. La culture artistique concerne donc aussi bien la création que les contextes et les cadres de cette création, mais également les modes de représentation, de médiation, d’enseignement, de conservation, etc. des différents objets relevant de l’art.
Conférencière présentant une œuvre à des enfants
L'atelier : un espace d'expression artistique
Jeunes participants à un atelier de création artistique
Visiteurs dans une salle de musée
La culture et l’art n’ont pas toujours été considérés comme pouvant être associés l’un à l’autre.
Dans l’Antiquité, certains penseurs qui faisaient l’éloge de la culture de l’esprit, montraient une véritable méfiance à l’égard de l’art ; tel est le cas de Platon, pour qui l’art n’est qu’imitation et illusion.
Au cours des siècles suivants cependant, art et culture ont souvent été associés, en particulier en Occident.
Aujourd’hui, les termes se confondent souvent et il n’est pas rare que l’emploi seul de culture fasse allusion à la culture des arts qui comprend :
l’architecture, les arts-plastiques et graphiques (sculpture, peinture, dessin, gravure), la photographie, la littérature, la musique et les arts de la scène – théâtre, opéra, danse, art de la marionnette, art du clown, art du cirque –, le cinéma, le design, l’art numérique, la bande-dessinée et les arts de la rue.
Théâtre et Art du cirque lors d'un atelier avec des enfants réfugiés syriens. Gaziantep, Turquie
Production d'un participant à un atelier, mêlant images et mots
Certaines de ces formes d’art sont plus récentes que d’autres, toutes n’existent pas partout, et toutes ont connu et connaissent un développement qui leur est propre en fonction de l’endroit où l’on se situe. Certaines ont été rangées sous l’étiquette de culture légitime quand d’autres l’ont été sous celle de culture alternative.
Dans le cadre de la médiation artistique et culturelle que je propose,
il ne s’agit pas de créer une hiérarchie des différentes formes d’art précédemment citées, mais plutôt de les considérer au même niveau, conformément et en accord avec la définition élargie du concept de culture.
Toutes peuvent faire l’objet d’une étude ou d’une expérimentation dans les projets artistiques et culturels proposés.
Chaque personne, en fonction de son parcours et de son vécu, en fonction de ses besoins et de ses désirs, peut un jour avoir de l’intérêt pour une forme d’art spécifique et le lendemain pour une toute autre forme d’art.
L’art, sous ses formes diverses et variées peut transformer l’être humain mais c’est aussi de l’être humain que naît l’art.
L’art et la culture ont un pouvoir d’action sur le monde et l’être humain
L’art et la culture sont porteurs de valeurs et possèdent des propriétés par lesquelles ils ont un pouvoir d’action sur le monde. De violents conflits et catastrophes naturelles contraignent aujourd’hui des millions de personnes à fuir la violence, la misère et la pauvreté. L’ignorance, l’absence de savoir, de culture et d’éducation peut mener à des comportements inhumains, à de l’égoïsme, à du non-respect et du mépris de l’Autre, et ces réactions sont alors à l’origine des maux qui touchent l’Humanité et la planète Terre.
L’art et la culture sont un moyen de rendre compte de ces problématiques sociétales et environnementales par les messages qu’ils véhiculent et ont ainsi la capacité de contribuer à une amélioration. N’oublions pas que la culture est tout autant ouverture vers le futur que l’héritage du passé.
L’art est aussi une manière d’exprimer les doutes, la colère et la tristesse qui nous envahissent dans un tel contexte de conflits et catastrophes. Mais l’art est également une manière d’exprimer sa joie, car l’art, par son aspect esthético-sensible, nous enseigne que même dans le plus horrible des contextes qui soit, une ouverture peut se créer et nous rappeler ce que sont la beauté et les véritables valeurs de la vie. N’oublions pas que selon les plus grands mythes fondateurs, c’est du chaos qu’est née la création du monde.
De nos malheurs les plus terribles peut naître l’œuvre la plus merveilleuse. La création est à la portée de tous, elle est en nous-mêmes.
L’art est pareil à une plante. Il est le fruit des graines que les êtres humains ont semé ici et là. À l’image d’une forêt de plantes de formes et de couleurs variées, il existe autant d’œuvres d’art que d’êtres humains créateurs.
Mais l’art est aussi le reflet de ce que nous, êtres humains, partageons en commun au-delà des disparités et des appartenances.