> Ateliers avec des classes segpa d’un collège en Seine-Saint-Denis (France) 2012-2014

Les projets ont été réalisés avec les classes segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) de 4ème et de 3ème du collège Maximilien Robespierre à Epinay-sur-Seine, en Seine-saint-Denis (93).

Les élèves de ces classes sont des adolescents cumulant des difficultés à la fois scolaires et sociales. Les difficult
és scolaires qu’ils rencontrent peuvent en fait souvent être mises en relation avec le contexte dans lequel ils grandissent, notamment les difficultés socio-économiques que connaissent leur famille et l’habitat dans des quartiers où règnent de fortes tensions.
Ils sont par ailleurs majoritairement éloignés de la sphère artistique et culturelle déployée dans la capitale parisienne, à seulement quelques kilomètres de leur lieu de résidence ; l’accès leur en est limité pour diverses raisons : personne – hormis l’école – n’est présent pour les y accompagner ; l’argent manque ou ne peut être dépensé pour une telle activité ; la distance géographique freine la motivation ; mais aussi le frein psychologique (« c’est pas pour nous ! ») qui s’accompagne souvent d’une méconnaissance des offres d’accès à l’art et à la culture.
Les projets menés avec les classes avaient pour objectif de sensibiliser ces jeunes à l’art et à la culture, et s’inscrivaient ainsi dans le dispositif éducatif « L’art et la culture au collège ».
Ils consistaient pour l’essentiel en des séances en classe que j’encadrais, avec l’assistance de l’enseignante ou de l’enseignant. Au cours de ces séances étaient principalement transmis des apports théoriques sur l’art du XIXe et du XXe siècles, de manière ludique et pédagogique. Ces séances en classe étaient complétées par des visites d’institutions muséales situées à Paris : le musée Rodin, le musée Picasso et le musée national d’art moderne. Le rôle social de la sortie au musée, avec tout ce qu’elle implique – se déplacer à Paris, être visiteur, rencontrer d’autres personnes (visiteurs, personnel et professionnels du musée) – s’inscrivait pleinement dans les enjeux des projets.

Ces projets de sensibilisation à l’art et à la culture ont par ailleurs servi de cadre à une étude approfondie sur la relation des jeunes en difficultés scolaires et sociales à la culture artistique. Cette étude devait permettre de mieux saisir leur rapport à l’art et à la culture et de déterminer quelle pouvait être la médiation la plus appropriée pour qu’elle leur soit bénéfique au regard de leurs difficultés.

Impressions et ressentis d’ateliers

C’était avec une certaine curiosité que je m’apprêtais à intervenir pour la première fois dans une classe de quatrième du collège Robespierre d’Epinay-sur-Seine. Je ne connaissais pas encore les élèves, seulement quelques informations à leur sujet, que l’enseignante qui m’accompagna tout au long des ateliers m’avait auparavant transmises. C’était tout aussi bien ainsi car je souhaitais commencer l’aventure sans aucun préjugé et me détacher d’idées qu’il n’est pas rare d’entendre à propos de ces jeunes, comme par exemple : « des jeunes de banlieues… tu ne sais pas à quoi t’attendre », « … dans le 93 en plus…tu n’as pas peur ? ». Non, je n’avais pas peur, et effectivement, je ne savais pas complètement à quoi m’attendre. En adoptant cette attitude, je me laissais la possibilité d’accueillir tout ce qui devait constituer cette expérience qui ne pouvait alors être qu’enrichissante.
Pleine de bonne volonté, j’arrivai dans le collège pour ma première intervention. Je m’étais bien préparée et je voulais avant tout, lors de ce premier atelier, que l’on fasse connaissance et permettre aux jeunes de saisir qui j’étais et quel était mon rôle auprès d’eux.
Le ton fut donné d’emblée. Ce qui, chez eux, me marqua tout de suite, fut leur spontanéité, parfois sans retenue, laissant paraître une certaine assurance, voire une certaine audace. Cette assurance se révéla cependant par la suite n’être bien souvent qu’un voile cachant d’autres fragilités. Je compris que ce comportement était ce avec quoi il allait falloir que je travaille pour instaurer un véritable climat de confiance. Je ne cherchai pas à rentrer dans leur jeu de défier l’autre ; j’essayai de cerner leur vrai tempérament et leur vraie nature cachés derrière ce comportement, sans être intrusive, mais pour les accompagner au mieux dans la construction d’eux-mêmes.
Au fur et à mesure que les ateliers avançaient, je gagnai en assurance et j’appris à me laisser moins surprendre par leur franc-parler. Quant à eux, ils comprirent qu’ils devaient me respecter comme tout un chacun. Nous nous connaissions désormais davantage et il devenait plus facile d’échanger, de dialoguer, d’apprendre dans une atmosphère détendue, et de rire ensemble sans pour autant faire du copinage car chacun restait dans son rôle.

J’avais vite réalisé, au début du projet, qu’il me serait impossible de suivre mot pour mot ma préparation d’atelier. L’essentiel m’a alors semblé être de trouver comment répondre à leurs attentes et besoins, tout en maintenant les principaux objectifs que je m’étais fixés, et en suivant le fil conducteur envisagé.
J’avais souhaité ne pas rendre l’intervention trop scolaire. Elle aura finalement, je crois, été trop scolaire au goût des élèves comme au mien. C’est un des points que j’aimerais améliorer si je suis amenée à renouveler l’expérience. L’usage de l’autorité a parfois été nécessaire, notamment lorsque certains voulaient mener la barque dans une direction s’opposant au respect des règles de la classe et de l’atelier. Mais j’essayais en même temps de leur faire comprendre que j’étais supposée être là, non pour exercer une autorité sur eux et les réprimander, mais pour leur faire partager un savoir et des valeurs afin qu’ils en tirent quelque chose.
A la fin du projet, j’avais perçu dans l’expression ou le discours de beaucoup d’entre eux une certaine joie à citer le nom de Rodin ou Picasso, à mentionner leurs œuvres et raconter l’histoire de quelques personnages. Leurs airs de « je m’en fous » si marquants en début de projets, avaient laissé place à une volonté d’apprendre et un potentiel créatif, sans doute bien trop souvent freinés par l’image de « simples jeunes de banlieue » qui leur est couramment attribuée.  
Ils avaient, m’a-t-il semblé, commencé à prendre conscience que l’art était à leur portée : à leur habituel discours « c’est pas pour nous ça », s’était substitué la conviction que l’art pouvait être fait non seulement pour eux mais aussi par eux.
Quant à moi qui n’étais pas parvenue à faire tout ce que je souhaitais entreprendre, j’avais saisis une fois de plus que la recette d’un échange fructueux n’est pas tant la quantité que la qualité du discours.