La Fabrique du Livre contre la guerre

C’est l’histoire d’un livre en train de s’écrire. Un livre fait d’images accompagnées de mots. Un livre qui célèbre la paix pour dire non à la guerre.

Tout a commencé à Caen. Lancelot Hamelin, écrivain, et Christophe Bisson, vidéaste et cinéaste, ont initié un projet de réalisation de gravures avec les résidents du Foyer Léon Richet, un centre d’accueil pour personnes en situation de handicap psychique, fonctionnant selon les principes de la psychothérapie institutionnelle. Avec la collaboration de l’artiste Dino Fava, un petit groupe de résidents a produit une série de gravures sur le thème du Bîmâristân d’Alep.
Construit en 1354, le Bîmâristân Al-Argoun d’Alep (du persan Bîmar – patient, malade – et Stan – maison) est un établissement destiné à offrir l’hospitalité et soigner les malades atteints de pathologies physiques et mentales par une thérapie bienveillante basée sur l’utilisation bienfaisante de la lumière, de l’eau et de la musique.
Le lien entre les deux institutions, celle de Caen et celle d’Alep, était riche de sens, toutes deux ayant pour mission de contribuer au mieux-être du patient, notamment en le soignant avec des méthodes alternatives.
C’est ainsi que le chapitre I du Livre contre la guerre s’est écrit à Caen.
Puis, Lancelot et Christophe, les deux artistes à l’initiative du projet, sont venus nous trouver à Metz. « Nous », c’est l’association Comsyr qui œuvre pour les réfugiés syriens.
Et si on poursuivait la Fabrique du Livre contre la guerre à Metz ? Avec cette proposition, Lancelot et Christophe nous entraînait dans le projet. Les pages du chapitre II étaient encore blanches mais elles n’allaient pas tarder à se remplir d’images et de mots. Un groupe de douze artistes-auteures s’est constitué : six femmes syriennes et six femmes françaises, accompagnées par l’artiste-graveure Patricia Gerardin, ont à leur tour entrepris la réalisation de gravures.

Le lien entre les différents lieux continuait à se tisser : le foyer d’accueil médicalisé de Caen… Le Bîmâristân Al-Argoun d’Alep… Le Cercle des femmes de l’association Comsyr, qui depuis quelques années réunit femmes syriennes et françaises pour des moments conviviaux et de partage afin d’offrir un espace paisible et ressourçant, à distance des souffrances causées par la guerre.
Quel objet, quelle image, quel souvenir pourrait être le point de départ pour évoquer la Syrie en temps de paix ? Telle fut la question posée aux femmes syriennes pour commencer la création du chapitre II du Livre contre la guerre. Quant aux femmes françaises, il leur fut demandé d’illustrer, à partir également d’un objet ou d’une image, leur lien avec les femmes syriennes au sein de l’association, leur lien à la Syrie et la manière dont elles œuvrent pour la paix.
Entrainées par nos deux artistes à l’initiative du projet, accompagnées par notre artiste-graveure Patricia, et soutenues par le Centre Pompidou-Metz (mise à disposition de salle, prêt de matériel, etc.), nous avons mis en images et en mots les souvenirs liés à la paix. En images d’abord, puisque chacune a réalisé un tirage imprimé à partir d’une matrice gravée. En mots ensuite, car chacune a accompagné sa gravure d’un texte.

Le chapitre II du Livre contre la guerre s’écrivait ainsi au fil de nos rencontres dédiées à la réalisation des gravures puis à l’écriture des textes.
Le résultat était visible en juin 2021 au Cloître des Récollets de Metz dans l’exposition de gravures organisée à l’occasion du 8ème anniversaire de la charte d’amitié Metz-Alep. Sous forme de leporello*, le Livre contre la guerre y était exposé aux côtés de gravures d’artistes syriens invités. L’exposition que nous avons-nous-mêmes organisée et montée retraçait la genèse du projet.
L’exposition fut par ailleurs l’occasion de belles rencontres, notamment avec les résidents du foyer Léone Richet de Caen qui sont venus nous voir pour découvrir notre travail et nous montrer le leur en nous offrant quelques unes de leurs gravures. Ce fut aussi le lieu et le temps pour de riches échanges et de la convivialité, autour d’évènements tels que conférence sur l’art en Syrie et concerts aux sonorités orientales.

Avec la fin de l’exposition, on a refermé notre Livre contre la guerre. Mais l’aventure n’est pas terminée et peut-être que d’autres chapitres s’écriront ailleurs… On compte bien en tout cas rouvrir le livre pour continuer à célébrer la paix.
*Egalement appelé livre accordéon, ou encore livre frise, le leporello se déplie grâce à une technique particulière de pliage et de collage de ses pages.

Extrait du chapitre II du Livre contre la guerre :

La Colline et l’Olivier
Quand la tristesse laisse place à l’espérance en la paix
Tout a commencé en 2016. J’étais bien sûr au courant qu’une guerre ravageait la Syrie depuis quelques années. Cependant, peu informée sur le sujet, je ne me doutais pas que la guerre allait non seulement prendre une telle ampleur, mais aussi me mener sur la voie de l’accompagnement des réfugiés syriens.
J’offrais ainsi,tout d’abord, des ateliers de création artistique aux femmes syriennes accompagnées par l’association Comsyr. Elles pouvaient y déposer les souffrances causées par la situation de leur pays et les impacts sur leur propre vie.
Puis, à l’été 2017 et celui de 2018, une amie et moi avons mené des ateliers avec une centaine d’enfants syriens, dans le sud de la Turquie. Orphelins de père, ils étaient relogés avec leur mère dans une ville située à proximité de la frontière syrienne. Témoins de terribles scènes d’horreur et de violence, les enfants trouvaient un espace où exprimer, par la création, leurs sentiments de tristesse, de colère et d’angoisse.
J’observais dans les productions des enfants, comme dans celles des femmes, les signes d’une vie meurtrie par la guerre mais aussi des messages chargés d’espoir.

Un dimanche de l’été 2018 passé en Turquie, nous entreprîmes une escapade dans les collines turques au sud du pays. Alors que nous appréciions la lumière rayonnante du soleil sur les grands espaces naturels nous environnant, impossible d’oublier que derrière les collines, des hommes s’entretuaient et un peuple entier souffrait. Alep n’est qu’à une centaine de kilomètres. Ce fut une journée au contexte étrange. Comme pour n’en garder en mémoire que la beauté apparente des paysages, nous ponctuâmes le trajet du retour de prises photographiques au soleil couchant. Un cliché résultant de l’une de ces prises a servi de base pour réaliser la présente gravure.
J’ai souhaité mettre en avant dans la gravure les symboliques portées par l’olivier, afin que la tristesse laisse place à l’espérance en la paix.
Reflet de l’espoir et de la force se dégageant de l’image, le courage avec lequel hommes et femmes syriens réfugiés traversent de rudes épreuves, retint mon attention : leur force à ne pas s’effondrer, à rester debout et à avancer plus droits que jamais vers un meilleur avenir. Ils nous enseignent que lorsque la guerre a tout détruit ou presque, il reste encore la valeur du partage entre êtres humains. C’est cela même qui fait la joie de notre rencontre, une joie qui, alors que les bombes continuent de pleuvoir, nous rappelle ce qu’est le bonheur de vivre.
À l’issu d’un atelier, Hussein, un garçon syrien alors âgé de 11 ans, a exprimé sa gratitude : « Merci d’être venues planter la joie sur le visage des orphelins. » Cette joie, nous l’avions plantée ensemble, et elle était partagée.
Un jour, un jeune Syrien à qui j’apportais de l’aide, m’a dit que j’étais une merveilleuse personne. Je lui ai d’abord fait remarquer que les personnes merveilleuses ne rencontraient que des personnes merveilleuses. Puis j’ai ajouté que, connaissant sa situation, celle de sa famille, celle de son peuple, celle de son pays, je ne pouvais pas fermer les yeux et faire comme si de rien n’était. Agir ainsi n’avait rien d’extraordinaire, c’était juste de l’ordre de l’humain.
Je n’aide pas par pitié. Lorsqu’on a de la pitié pour quelqu’un, on le pense incapable de s’en sortir si on n’est pas là pour lui. Je préfère d’ailleurs le mot accompagner à celui d’aider. Je marche à côté de la personne, l’avertis des pierres sur lesquelles elle pourrait trébucher, lui indique les branches auxquelles se raccrocher, et lui tends la main pour se relever en cas de chute. J’accepte qu’elle la prenne ou non, puisqu’elle est capable d’avancer seule. J’apporte juste mon grain de sel, celui qui me caractérise particulièrement : la créativité. Être créatif c’est trouver comment avancer quelles que soient les circonstances.
Aujourd’hui je m’interroge encore parfois sur la manière dont le monde entier ferme les yeux sur une guerre d’une telle ampleur, une guerre qui a fait et qui continue à faire tant de ravages. Est-ce de l’inconscience ? De l’égoïsme ? De la peur ? Dix interminables années de guerre sans interruption… Devons-nous rappeler que ce ne sont pas moins que la somme des années de première et seconde guerre mondiale ? Combien de temps encore devrons-nous attendre pour que l’opinion publique se réveille et que les dirigeants des nations en paix prennent des décisions responsables et appliquent des mesures adéquates, avant que la guerre ne fasse davantage d’orphelins, de familles éparpillées et déchirées, de femmes et d’hommes au destin brisé, et avant qu’elle ne conduise à l’extermination totale d’un peuple ?
Peut-être un jour marcherons-nous vers un monde sans guerre. Et peut-être cela arrivera seulement lorsque tous les êtres humains auront déjà saisi que ne pas fermer les yeux sur la guerre en Syrie, c’est déjà être en capacité d’oser les ouvrir réellement sur ses propres conflits intérieurs.
Afin que ceux dont la vie a été injustement ôtée ne tombent dans l’oubli et que les rescapés puissent continuer à se tenir debout et marcher vers un meilleur avenir, je dépose sous vos yeux un mot tellement connu qu’on semble ne plus en apprécier le sens réel : سلام
سلام: salam en arabe signifie paix.

La gravure La Colline et l’Olivier est disponible à la vente, sous deux formes :
Reproduction de la gravure originale exposée
Nouveau tirage original, en version aquarellée
Pour connaître les tarifs et les délais de production et de livraison,
veuillez me contacter directement par téléphone : 06 81 16 51 22,
ou par mail : camille.feurer@maccam.org.

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